Allo, c'est la police: on a attrapé votre voleur

Hier, 16h20:


- Allo, c'est la police: on a attrapé votre voleur!
- Ah, bien, félicitations!
- vous seriez capable de l'identifier?
- non, je ne pense pas
- pas de problème de toute façon, avec les vidéos, nous n'avons aucun doute. Seriez vous disponible pour passer demain matin au commissariat?
- Eh bien, c'est que demain je travaille
- oui, je m'en doutais, vers quelle heure seriez-vous disponible?
- entre midi et deux ou après 18h?
- disons alors midi et quart?
- c'est parfait
- vous demandez la BRAV, poste 1234



A l'issue de cette courte conversation téléphonique, je ne sais absolument pas pourquoi je dois me rendre à l'hôtel de police. Identification? Confrontation avec le suspect? Formalités? Je me demande si je vais revoir le visage de mon "agresseur".


Je me rends au commissariat à l'heure convenue.
Le lieu est austère, déprimant. Un endroit d'un autre siècle.

Je me présente à l’accueil, l'agent me demande de patienter.


Un homme en civil se présente à moi et me tends la main.
- Bonjour, veuillez me suivre.


L'endroit n'est pas plus agréable dans les étages, éclairé par des néons projetant une lumière blafarde.
Nous rentrons dans un bureau. Il y a de la poussière sur les murs, des photos imprimées, un vieux casier métallique.

Sur un réfrigérateur qui a un jour été blanc, une affiche:
Le numéro qui sauve: 01 23 45 67 89 SOS Apéro

En face de moi est épinglée une autre affiche imprimée et plastifiée qui me fait face:

La loi prévoit que nous vous demandons de ne pas fumer, alors aidez nous.

Je la relis plusieurs fois: demandons? Je souris intérieurement.

Pourquoi ne pas avoir écrit interdit de fumer? Une façon de dire: "soyez sympa".
Car sur la chaise ou j'ai posé mon séant, se sont assis tour à tour, victimes, voleurs, personnes frustrées, voir parfois des vrai faux caïds mais aussi des victimes d'agression; certes ordonner à quelqu'un de ne pas fumer ne semble pas compliqué, mais il faudra dire aussi à ces victimes en larmes qu'il leur faudra patienter un peu pour le réconfort de la cigarette. Bienvenue à la Brigade de Répression des Actions Violentes.


Oui, de l'aide, ça ne doit pas être toujours simple de travailler dans ce cloaque, sans cesse soumis au jugement des personnes de passage.
Mon sourire se pince.


Nous entrons dans le vif du sujet:
- On vous a donc volé votre tablette?
- c'est un livre numérique, c'est le même principe, mais ça ne fait qu'afficher des
livres.

- Ok, donc nous avons arrêté le voleur; vous pourriez le reconnaître?
- Sincèrement, je ne pense pas.
- Ce n'est pas grave, de toute façon il a reconnu les faits.

- Vous pouvez me dire donc pourquoi je suis ici?
- Oui, vous avez déposé plainte contre X, et aujourd'hui, vous allez porter plainte contre cette personne.

Le policier travaille, concentré sur son ordinateur, il vérifie mon identité et mes coordonnées.

Je demande:
- Vous l'avez arrêté comment, le voleur?
- Il a réitéré son vol au moins 4 fois ce jour là; enfin au moins 4 fois, puisque nous avons 4 plaintes. Nous l'avons reconnu grâce aux vidéos et c'est un "bon client" de chez nous. Il a 16 ans.

- Voulez-vous vous porter partie civile?
- Expliquez-moi?
- En vous constituant partie civile, vous pouvez demander des dommages et intérêts. (je réfléchis). Je vous le conseille.
Cette décision semble être simple à prendre, mais à brûle-pourpoint je m'interroge: Quelles sont les conséquences pour ce gamin?
Je réfléchis un instant, mais au final, mon livre est abîmé, ce n'est pas le premier vol dont je suis victime: je me porte donc partie civile.

- il est mineur, il ne risque pas grand chose - dis-je

Le policier, résigné:
- Dimanche il recommencera.


Nous terminons les formalités administratives, quelques signatures.
Il est 12h55. L'imprimante devient capricieuse, et le fonctionnaire doit recommencer la procédure; il s’exécute sans s’énerver.


Le policier déclare que je serais probablement recontacté par téléphone.
En fonction de la décision du procureur, je serais informé de la date du jugement.
Je peux ne pas m'y rendre, cependant si je veux défendre mon préjudice, il vaut mieux être présent.
J'attends l'appel, j'irais certainement.


Je sors, content d'avoir accompli mon devoir de citoyen, remplis de question sur la façon dont mon agresseur vit la situation, sur le jugement. J'essaye de me représenter cette grande machine qu'est la justice, avec ses policiers, ses procureurs, juges et autres avocats. Des petites histoires comme la mienne, je n'ose même pas imaginer combien il s'en crée tous les jours, combien de dossier on ouvre ni combien on en ferme, mais en ferme-t-on beaucoup?

En conclusion, je garde aujourd’hui en tête cette citation de Michel Audiard que l'on m'a rappelé ce matin en ce dernier jour de vie de Troy Davis:


La justice, c'est comme la sainte vierge. Si elle n'apparaît pas de temps en temps, le doute s'installe.

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